« Vers le Succès » de la série « Emigration russe en photos, 1917-1947 » – Album III, 2005, Prix VERITAS 2006

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Dans ce tome l’auteur a concentré son attention sur les divers moyens qu’ont trouvés les émigrés pour gagner leur pain. Peu d’entre eux ont pu trouver du travail dans leur spécialité. Non seulement des généraux et des colonels ont dû prendre le volant de taxis parisiens mais certains cosaques se sont embauchés à réparer des wagons en usines, des aspirants de marine se sont faits peintres en bâtiments et les épouses des écrivains se sont transformées en couturières.
Bien qu’en exil, la vie continue : les membres du ROVS se réunissent régulièrement et créent des musées militaires, l’Institut de théologie Saint-Serge dispense régulièrement des cours, les jeunes jouent au football, au volley-ball et au basket ; on ouvre des cantines à petits prix, on organise des bals de bienfaisance, les nombreuses églises russes de France accueillent de jeunes fiancés pour recevoir le sacrement du mariage.
La Russie en dehors de la Russie veut vivre !

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« Vers le Succès »

De la série « Émigration russe en photos, 1917-1947 » – Volume 3

édition YMCA-PRESS, 2005, Prix VERITAS 2006

1000 photos (N/B) – textes bilingues Français-Russe, 464 pages, 24 x 29 cm, 2,5 kg
ISBN 2-85065-263-6 / 978-2-85065-263-9

 

Inconnus mais pas oubliés

Quand l’idée d’un Livre d’or de l’émigration fut émise dans le Paris d’après-guerre, il est étrange que personne n’ait songé à y inclure penseurs, artistes, écrivains… hommes et femmes ordinaires, simples réfugiés aux yeux de l’Histoire. Tresse-t-on des couronnes à des chauffeurs de taxi, des boulangers, des couturières, des éleveurs de lapins ?

Il y aura bientôt un siècle, la première vague fuyait le déshonneur. Siècle au fur et à mesure duquel l’apport quotidien de ces nombreux Russes « inconnus » s’avéra aussi important que l’impact d’un Diaghilev, d’un Chaliapine ou d’une Pavlova sur la vie artistique européenne. « Inconnus » que l’Histoire eut le temps de faire disparaître dans l’oubli. Comme, par exemple, au sein des maisons de couture russes, les modélistes de génie et les ravissants mannequins qu’Alexandre Vassiliev nous rappelle dans son excellent livre « Beauté en exil ».

Pour beaucoup, le cauchemar commença à Constantinople avec l’afflux, sur les rives du Bosphore, de dizaines de milliers de réfugiés dans un état d’épuisement extrême, ayant tout perdu, affamés, malades et souvent séparés de leur famille. Des bienfaiteurs étrangers proposèrent alors à ceux qu’ils considéraient comme condamnés à mourir sur place, de se charger de leurs enfants. Mais personne n’accepta.

Il paraissait impossible de venir en aide à ce peuple contraint à l’exil et isolé du reste du monde, aussi furent-ils nombreux ceux qui préférèrent fuir tant de misère. Quant à ceux qu’elle ne rebuta pas, on peut évoquer le grand hôpital français de Constantinople où l’on ne distribuait ni couteaux, ni fourchettes ni vaisselle cassable, afin d’éviter les suicides parmi les blessés russes. On cite cette phrase d’un Américain, grand cœur honnête, à l’épouse âgée d’un sénateur qui gagnait de quoi survivre en fabriquant des boites d’allumettes : « Vous mourrez de toute façon ; il faut se dépêcher de le faire parce que l’agonie est épouvantable et personne ne peut vous aider. »

Dans les rues, de jeunes cadets vendaient le récit en vers de leur mort lente ou allaient au bazar céder leur dernière chemise. La situation des femmes – surtout celle des femmes seules, nombreuses – était tout simplement dramatique. Il ne restait plus, pour survivre, qu’à devenir serveuse ou bonne chez des particuliers. Mais un seul mot de travers et c’était la porte. Il s’agissait souvent d’un piège. Aucun gouvernement ne voulait accueillir ces condamnés, malades, démunis et inaptes à la vie pratique. Au prix de grandes difficultés, certains réussirent à trouver du travail ailleurs et quittèrent ainsi ce cauchemar.

Le salut, c’était un contrat chez Renault, c’était la Prague académique et son action russe, c’étaient les Corps de cadets en Yougoslavie et les mines de charbon belges, c’était le rêve agricole en Argentine, au Pérou ou au Paraguay, c’étaient des places d’ingénieurs au Congo ou les transatlantiques qui embauchaient cuisiniers, matelots, musiciens, danseurs mondains…
Les émigrés russes refusèrent de mourir et leurs prétendus comportements hautains et esclavagistes sont à attribuer aux seuls mensonges de la propagande soviétique.
Il est vrai qu’au début, leur énergie et leur aptitude aux tâches difficiles surprirent les Russes eux-mêmes. Malgré la ma-ladie, l’épuisement physique et moral, ils démontrèrent des capacités d’adaptation au travail que des professionnels auraient pu leur envier. Des professeurs et des étudiants par exemple se sont avérés des ouvriers remarquables.

Évidemment, la plupart d’entre eux durent renoncer à une spécialité dont la préparation leur avait coûté les meilleures années de leur vie. Il fallut oublier le passé et accepter ce qu’on leur proposait dans des pays inconnus. Les fermiers russes en Amérique du Sud ont réussi à s’adapter aux conditions climatiques et, malgré la mauvaise qualité du sol des parcelles concédées, ont créé des exploitations florissantes. Dans le sud de la France, les jardiniers russes ont fait l’admiration des spécialistes locaux. Dans les villes-usines où il est très difficile à un étranger de gagner du galon – comme au Creusot – d’anciens officiers de la Garde impériale, d’abord acceptés avec méfiance, obtinrent des postes de chefs d’ateliers après avoir passé avec succès des examens techniques.

À Paris, les chauffeurs de taxi étaient si nombreux qu’on raconte à leur sujet l’anecdote suivante : un visiteur russe ayant oublié où il se trouvait, cria dans la rue « Izvochtchik ! » (cocher !) et vit arriver plusieurs voitures, toutes conduites par un Russe. La réussite des exilés dans certains domaines fut telle qu’on pensa même à protéger les ouvriers locaux de la concurrence. En France, dans les années 1920, on établit un quota d’étrangers mais les grandes entreprises firent tout pour employer des Russes qui, sur le marché du travail mondial, étaient considérés honnêtes, sensés et productifs. On raconte que le directeur de l’une d’elles, légèrement ignorant en matière de politique étrangère, déclara fièrement à un représentant commercial de la Russie soviétique : « Voici nos meilleurs travailleurs ! » en désignant un groupe d’émigrés russes.

Les magasins d’alimentation et les restaurants russes prospéraient à Paris grâce à la clientèle émigrée aussi bien que française, riche et délicate. Les boutiques russes faisaient concurrence aux meilleures entreprises françaises. La demande en broderie a permis de créer une forme spéciale d’artisanat.

Il faut savoir également qu’une grosse firme d’automobiles choisit un peintre émigré russe, Iakovleff, parmi des centaines de candidats parisiens pour suivre une expédition en Afrique centrale. Ayant remarquablement rempli sa tâche, il exposa ensuite ses tableaux africains qui connurent un énorme succès.

Il n’y a pas que la remarquable peinture russe pour avoir conquis le monde entier grâce à l’émigration : les arts russes appliqués, inconnus hors de la Russie, ont séduit les foules. Par exemple, l’usine de porcelaine de Sèvres commandait, un certain temps, ses modèles à des artistes russes.

Même les enfants ont surpris par la facilité avec laquelle ils assimilaient les langues et par leurs remarquables résultats scolaires. À la fin des années 1920, c’est un enfant d’émigrés russes qui fut élu meilleur écolier de France.

En quoi les émigrés ont-ils encore été remarquables ? En travaillant toute la journée à des postes « alimentaires », nombre d’entre eux conservaient un lien avec la vie intellectuelle et continuaient leurs études, passaient des examens et entretenaient chez leurs enfants l’amour de la Russie. Chez certains, la fidélité à la patrie était si forte qu’ils refusèrent d’adopter une autre nationalité et conservèrent toute leur vie un passeport de réfugié.
La force d’âme, le travail obstiné, la stabilité morale des exilés en général se retrouvaient dans les statistiques : on enregistrait les taux de délinquance et de suicide les plus bas dans les communautés russes.

L’émigration était composée d’errants provenant de toutes les couches sociales. Les années d’exil ont fait que princes et hauts fonctionnaires, propriétaires terriens et généraux, avocats et grands négociants ont perdu leurs privilèges héréditaires ; ils sont devenus des habitants d’Europe, d’Asie et des deux Amériques, égaux dans le malheur et l’exil.
Tel fut le dur chemin de ces gens qui n’ont pu compter que sur eux-mêmes. De ces héros inconnus mais pas oubliés.

La plus grande gratitude va à mes parents, Tatiana Kapitonova et Alfred Korliakov.
Je voudrais remercier tout particulièrement l’historien Vitaly Joumenko pour sa fructueuse collaboration, Tatiana Pruzan pour sa traduction française, René Clémenti-Bilinsky et Michèle Mahé pour leur relecture des textes en français, et Natalia Gorbanevskaya, Anatole Kopeikine et Michael Novikov pour celle des textes en russe.

Un concours inestimable m’a été apporté par Olga Aliantchikoff ‡, la princesse Roussoudane Amilakhvari, l’Union des anciens de la Marine impériale, Olga Andreolli, l’archevêque Séraphime ‡, Marie Avril, Nathalie Auberjonois, Gérard Baudard, Tatiana Bergerioux, Hélène Bobrinskoy, le père Boris Bobrinskoy, Marina Bobrovski, André Brasol, Nadia Filatoff, Larissa Christophoroff, Ketevanne Cardet-Matchabelli, Nino D’Abo-Kvinitadzé, Serge Davoudian, Gérald et Jean de Pradel de Lamaze, Vladimir Delaroff, Rostislav Doboujinsky ‡, la famille Donskoff, Nicolas Douchkine, Tatiana Douroff, Nathalie Dreyfus, Philippe-Alex Ellenbogen, Alexandre Eltchaninoff, Tamara Felixoff ‡, Daria Fezenko ‡, Irina Fokine, Hélène Gavel, Yves Gentillhomme, Basile et Serge Ginger, Gérard Gorokhoff, la famille Gortchakoff, Nicolas Goucovitch, Nathalie et Nicolas Grabar, Marina Grey-Denikine, Tamara Grielsky, Véra Gultzgoff, Ismaïl Hagondokoff, Irina Hammelow, Vladimir et André Hofmann, Anne Hogenhuis-Seliverstoff, l’Institut Saint-Serge, Marina Isenberg, André Ivanoff, Nicolas Jdanoff, Alexandra Kalinine, la comtesse Hélène Kapnist, Nicolas Kedroff, Michel Kefeli, Alik Khananié, Pierre Kolitcheff, Georges Kopiloff, Marina Koretzky, Cyrille Koupernik, André Kourovsky ‡, Philippe Koutzeff, Alexis Kristoforoff, la famille Kritch-Albertini, Xenia et Nikita Krivocheine, Tatiana Krjivoblotzky, Serge Krylatoff, la Librairie russe de Sialsky, Grégoire Lamsdorff-Galagane ‡, Galina Lapierre, Lev Lavroff, Anastassia Lebedeff, Irène et Michel Lebedeff, Olga Levchine, Alexandre Liapine, Marie Lifar, Hélène Loboff, Tatiana de Lochounoff, Igor Lopatinsky, Véronique Lossky, Hélène Lyjina ‡, Aliona Maidanovitch, Michel Malinko, Christiane et Douchka Malitchenko, Nadejda Maltzeff-Bonifas, Alexandre Mantacheff, Youra Marschalk, Nina Matova, Igor Mikailoff, Ivan Mirzoff, Joseph Molotkoff, le comte André Moussine-Pouchkine, le musée de l’Homme, le musée Marina Tsvetaieva à Moscou, le musée des Cosaques, Thérèse et Thamaz Naskidachvili, Alexandre Nicolsky, Antoine Nivière, Jacques Noël, le prince Serge Obolensky, Cécile Odartchenko, la famille Odinetz, Nicolas Ossipoff, la comtesse Olga Osten-Sacken, Lidia Ouspensky, Tatiana Oussoff, Michel Ozeretzkovsky, Nathalie Pampouloff, Serge Peltzer, Rostislav Pervychine, Hélène Petrossian, Dimitri Rafalsky, Alla Ritoff, la baronne Nina Rausch von Traubenberg, Barbara Rapponet ‡, Antonina Roubichou-Stretz, Élisabeth Roussel-Stephanovitch, Jacques Schick, Wladimir Schidlovsky, Alexandre Skriabine, la famille Selezneff, Nathalie Schmemann, Olga Simonoff, Sonia Smirnoff, Ekaterina Somow, Nicolas Spassky, Anne Staritzky, Jean-Pierre Straus, Marie et Nikita Struve, Ekaterina Swetchine, Boris Tatischeff, Ivan Tislenkoff, Ivan Tolstoï, Katia Tomachevsky, Militsa et Wladimir Triapkine, Xenia Tripolitoff, la baronne Olga Uxkull von Guldenband, Alexandre Vassiliev, Anastasie Vichnevski, Michel Vronsky, Irène Weriguine, Irène de Winogradski, Dimitri Wychnegradsky, Nathalie Yagello, Ymca-Press, Irène Zamtchaloff, Tatiana Zelensky, Nikita Zweguintzoff et bien d’autres.

Tous, généreusement et de façon parfaitement désintéressée, m’ont donné des conseils et confié leurs souvenirs. Ce livre est empli de leur savoir et de leur amour.

Andreï Korliakov

Emigration Russe en photos