Éditions YMCA-PRESS, 1999
Ce livre contient un échantillon de photographies prises durant l’entre-deux-guerres.
Elles concernent sans doute la meilleure part du peuple russe, celle qui à été arrachée à sa patrie.
La plupart des clichés reproduits dans ce livre n’a jamais été publiée. De nombreuses photos sont l’œuvre d’amateurs. Elles présentent autant d’intérêt que les autres, car on peut leur appliquer ce qu’écrivait le peintre Alexandre Benois:
« il y a des portraits – photos qui par leur humour et leur élégance ne le cèdent en rien aux portraits de Gainsbourgh et d’Ingres, en particulier les scènes de la vie quotidienne, scènes d’intérieur ou champêtres. On ne se lasse pas de les regarder, elles suscitent un émoi particulier et offrent un instantané poétique de la vie ».
Espérons que cet album permettra de ressentir à nouveau le souffle de cette époque difficile, à la fois tragique et douce, et de se représenter visuellement les émigrés russes, tels qu’ils étaient en ces années-là.
Nul pays ne m’est plus doux que la France,
et en cadeau d’adieu, mes larmes ont coulé.
Ces vers de Marina Tsvetaeva évoquent la période de son départ en Russie en 1939.
Expriment-ils le sentiment des émigrés russes pour la France, leur terre d’adoption ? Comment en trouver confirmation ? Peut-on lire sur le visage des gens dont les photographies ont été réunies dans ce livre, quelle a été leur vie au quotidien, quelles étaient leurs pensées, s’ils ont été heureux malgré l’amertume de l’exil ?
Consciemment ou non, nous essayons toujours de discerner dans le regard des gens, comme si c’était un miroir de l’âme, les plus hautes qualités humaines, le sens de l’honneur, la grandeur d’âme, l’intelligence, un cœur aimant… Nous recherchons sur leurs visages l’empreinte de leur vie, plus particulièrement lorsque nous examinons les photographies de gens célèbres. Quel fut leur destin, que se passait-il dans leur âme quand ils se tenaient face à l’objectif, qu’est-ce qui faisait battre leurs cœurs que leurs œuvres et leurs actions nous ont rendus si familiers ?
De tout temps, les gens ont cherché à faire le lien entre le monde spirituel et matériel et, sans doute, dans une certaine mesure, cela a déterminé au milieu du siècle dernier, l’apparition de la photographie ou de « l’objectif », qui, comme disait Claudel, « permet de voir le lien entre la matière et l’esprit ».
Grâce à cette invention, l’histoire est désormais visible. Elle est sauvegardée à présent et se transmet de génération en génération au moyen de ces documents d’époque que sont les vieilles photographies. En leur temps, elles remplissaient les pages des journaux et des magazines et elles étaient adressés à un être humain, en l’occurrence l’émigré, un jour précis de sa vie. Sur les pages des albums de famille, elles entretenaient le souvenir du foyer, du bonheur, de l’amour… Du haut des affiches publicitaires, elles annonçaient la création de l’oeuvre d’un artiste ou d’un peintre. Toujours, elles attiraient l’attention. Peu importe que le photographe fut un professionnel ou un humble amateur, le résultat était toujours intéressant et les gens s’efforçaient d’avoir part à ce miracle.
Voici un témoignage de l’artiste-peintre Rostislav Doboujinsky: « mon premier appareil photo a été un « Brownie », un cadeau de mon père. Une boite avec laquelle on pouvait utiliser différents diaphragmes en faisant sortir une petite plaque jaune. Ma première photo représentait mon père avec des lunettes noires. C’était l’été 1911 en Suisse, il faisait alors très chaud, j’avais huit ans. Mon père s’était alors mis très en colère contre moi : « pourquoi as-tu choisi justement le moment où j’avais des lunettes? »
C’est de là que datent mes débuts dans la photographie. Les résultats n’étaient pas particulièrement brillants, mais il y eut une période où la photo représentait pour moi un intérêt presqu’aussi grand que le dessin. J’en retirais un immense plaisir. Je photographiais à droite à gauche, les intérieurs aussi bien que les paysages; tout ce qui me tombait sous l’objectif, j’essayais de le fixer. Par exemple, une poupée abandonnée dans une flaque. C’était comme si je gravais ma propre histoire. Ma famille, bien évidemment, a fait également l’objet de mon engouement. Je n’ai jamais été un photographe professionnel comme par exemple Nappelbaum qui faisait des effets de brouillard, qui rajoutait des reflets. Cela ne m’intéressait pas du tout. C’est le document à l’état brut qui m’intéressait parce qu’il restait gravé dans la mémoire, parce qu’il devenait un souvenir. La photo elle, n’était qu’un moyen purement technique.
Puis ce fut ma période scoute pendant laquelle j’ai à la fois beaucoup photographié et posé moi-même. Je m’étais laissé pousser la barbe, je jouais au vieux cow-boy, je me faisais mon cinéma à moi en quelque sorte. Et bien sûr, je photographiais tout simplement la vie des scouts.
Je ne perdais pas une occasion de prendre des photos. Je demandais à ce qu’on me photographie pendant mon travail, uniquement comme un souvenir, comme un moment pris sur le vif dans une vie d’artiste. Je regrette maintenant de n’avoir pas fait de photos lors de représentations cinématographiques et théâtrales. Maintenant, il ne reste presque plus rien de tout cela.»
Mais beaucoup de documents ont été conservés dans les archives aussi bien privées que publiques. Ce livre contient un échantillon de photographies prises durant l’entre-deux-guerres. Elles concernent sans doute la meilleure part du peuple russe, celle qui à été arrachée à sa patrie.
La plupart des clichés reproduits dans ce livre n’a jamais été publiée. De nombreuses photos sont l’œuvre d’amateurs. Elles présentent autant d’intérêt que les autres, car on peut leur appliquer ce qu’écrivait le peintre Alexandre Benois :
“il y a des portraits – photos qui par leur humour et leur élégance ne le cèdent en rien aux portraits de Gainsbourgh et d’Ingres, en particulier les scènes de la vie quotidienne, scènes d’intérieur ou champêtres. On ne se lasse pas de les regarder, elles suscitent un émoi particulier et offrent un instantané poétique de la vie”.
Espérons que cet album permettra de ressentir à nouveau le souffle de cette époque difficile, à la fois tragique et douce, et de se représenter visuellement les émigrés russes, tels qu’ils étaient en ces années-là.